Présentation du colloque

La communauté des architectes et, plus largement, de la plupart des métiers de la conception s’interroge depuis longtemps sur le double statut de leur discipline, comme science et comme exercice professionnel. Plusieurs colloques s’y sont intéressés ces dernières années, certains interrogeant plus spécifiquement la place du projet dans la recherche. Par son séminaire « Les formes de recherche par le projet », le laboratoire Project[s] a commencé à réactualiser cette question en mars 2021. L’ouvrage qui en est issu – Recherche et projet. Pour Repenser l’enseignement & les pratiques de conception des espaces de vie – restitue les riches discussions engagées à cette occasion. Le colloque « Le projet comme terrain de la recherche contributive » a pour objet de poursuivre ces réflexions en explorant les dimensions pluridisciplinaires, multi-professionnelles et territorialisées des recherches conduites dans les disciplines de projet. Il continuera à nourrir les échanges sur les relations pratiques-pédagogie-recherche ainsi que les liens entre pratiques professionnelles et recherches.

Les travaux qui explorent la dualité savoir professionnel/connaissance scientifique au sein d’une même entité, celle d’un laboratoire de recherche, sont encore rares. Cependant plusieurs unités de recherche et chaires partenariales articulent désormais action – de conception ou d’études – et démarche scientifique pour produire les connaissances nécessaires à l’actualisation permanente de disciplines dont la vocation première est la transformation du monde pour le rendre mieux habitable. Après avoir été pendant longtemps des lieux d’expérimentation de la pluridisciplinarité, y compris forte entre sciences de l’ingénieur et sciences sociales, se distinguant ainsi autrefois de la plupart des laboratoires universitaires, certaines unités de recherche des ENSA-P et des écoles de design constituent aujourd’hui des laboratoires de l’inter-professionnalité. Les recherches qui s’y déploient peuvent être qualifiées de transdisciplinaires, interprofessionnelles et territorialisées, autant de caractères définissant d’après Stiegler et al. la recherche contributive, à savoir une recherche associant étroitement « des chercheurs issus de différentes disciplines et des acteurs des territoires (habitants, entreprises, associations, élus et administrations publiques) dans de nouveaux réseaux territorialisés de recherche et d’expérimentation »1. Notons par ailleurs que le collectif transdisciplinaire Internation2, formé pour contribuer à relever les défis socio-environnementaux actuels et qui cosigne l’ouvrage cité ici, est l’un des rares à associer des artistes et des designers aux chercheurs issus des sciences sociales, environnementales et de l’ingénieur. Il a vu le jour en 2018 à l’initiative de Hans Ulrich Obrist, directeur des Serpentine Galleries de Londres et de Bernard Stiegler, philosophe.

Dans nos établissements formant à la conception, certains chercheurs accordant une place privilégiée à la recherche-action, la recherche-projet, la recherche par le design ou encore la recherche-action-formation au sein des laboratoires, se reconnaissent derrière ce terme générique de recherche contributive3. Dans ce cadre se développe une recherche ancrée dans un terrain spécifique, celui du projet. Projet d’architecture, de paysage, de design, d’urbanisme, projet de territoire, projet de création : tous ont à voir avec l’espace et/ou les pratiques d’habiter qui s’y déploient, ils appartiennent à un domaine que nous appellerons les disciplines de projet ou discipline de design, au sens anglo-saxon.

Le positionnement qui sous-tend le colloque des 9 et 10 décembre 2024 consiste à affirmer fortement le caractère indispensable de la synergie, au sein des pratiques de recherche, de deux formes d’appréhension des situations : les savoirs professionnels et les connaissances scientifiques. L’urgence climatique, sociale, environnementale appelle dans ces disciplines une capacité à articuler ces deux modalités d’intelligibilité autour d’un même objectif : la transformation du monde pour davantage d’habitabilité, de vivabilité et de désirabilité4.

Il est postulé ici que c’est le projet comme terrain qui spécifie les unités de recherche des disciplines du design : projet comme lieu d’émergence des questions de recherche, projet comme lieu d’observation des interactions entre acteurs ressources, projet comme terrain de l’enquête, projet comme lieu d’expérimentation, mais aussi projet comme laboratoire5. Qu’ils soient d’architecture, urbains ou de territoire, en aménagement, en paysage ou en art appliqué, qu’ils répondent à une commande en agence ou à l’énoncé d’un exercice pédagogique, qu’ils soient exploratoires, opérationnels ou expérimentaux (démonstrateurs), qu’ils se déploient en milieux contraints, patrimoniaux, informels, sous pression ou détendus, l'idée générale est que les projets, dans leur complexité et les interactions qu'ils suscitent, constituent autant d’occasions de produire ou mettre à jour les connaissances en matière de design.

Le colloque « Le projet comme terrain de la recherche contributive » interroge la culture partagée de la pluridisciplinarité et de l’inter-professionnalité incarnée dans la recherche contributive ancrée dans le terrain du projet : comment oriente-t-elle les questions de recherche ? comment influence-t-elle, explicitement ou de manière implicite, la (co)construction des réponses aux appels à projets (AAP) ou appels à manifestation d’intérêt (AMI) ? comment fédère-t-elle des collectifs à géométrie variable ? Le colloque s’intéresse en particulier à l’interaction symbiotique entre savoirs professionnels et savoir académiquement construits, et au tropisme du projet incarné par le caractère praxéologique des recherches en design, notamment l’hybridation projectuelle de concepts forgés par exemple dans le champ des sciences humaines et sociales. En d’autres termes : comment  les manières de produire de la connaissance en design opèrent-elles à partir du terrain et comment les disciplines de projet y traduisent-elles spatialement et/ou conceptuellement des méthodes issues d’autres disciplines ?

Les journées d’études proposées dans ce colloque poursuivent un double objectif : celui de partager/mettre en discussion les travaux conduits au sein d’AE&CC dans le cadre de son programme Ambition réflexive (AmbRe) mais aussi celui de les faire dialoguer avec les expériences d’autres laboratoires de recherche dans le large spectre des disciplines de projet. C’est pourquoi chacun des trois temps prévus croisera plusieurs types d’interventions : des communications à deux voix de membres d’AE&CC (binômes constitués sur la base des entretiens individuels qui se déroulent depuis un an dans le cadre du programme AmbRe) et de communicants sélectionnés dans le cadre du présent appel. Le programme comportera par ailleurs les témoignages de chercheurs de profils et/ou de disciplines différentes, identifiés pour leur implication dans les démarches de recherche ancrées dans le projet et invités à construire en amont du colloque un dialogue productif.

L'appel à communication

L’appel à proposition s’adresse à toutes les disciplines de design. Il est attendu des propositions décrivant une (des) expérience(s) précise(s) : contexte d’émergence de la recherche (quelle stratégie ? quelle opportunité ? initiative d’acteurs de terrain ? réponse à un appel à projet ? temporalité ? etc.). Elles expliciteront les objectifs et résultats de recherches impliquées, telles que définies en 1988 par Hugon et Seibel6 dans un champ plus large que celui abordé ici, à savoir « des recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité ; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations ». Ces propositions présenteront des résultats de recherche obtenus dans le terrain des projets par l’action de transformation et partageront différents questionnements : comment mesurer ces résultats ? comment les théoriser ? Quelles en sont les limites ?

Les contributions témoigneront d’expériences de recherche-action, de recherche-projet, recherche par le design ou de recherche-action-formation. Elles montreront la valeur-ajoutée par l’ancrage dans le projet et la dimension contributive (multi-professionnalité, pluri- ou transdisciplinarité, ancrage territorial, …). Quelle que soit la nature de la recherche ancrée dans le terrain du projet, les auteurs expliciteront les problématiques abordées, les questions posées – qu’elles aient été construites en amont ou issues du terrain lui-même – et les modalités de production des savoirs ancrés dans le terrain du projet tel que défini plus haut (projet de conception, de création, projet d’étudiant(s), etc.).

Il est proposé aux auteurs d’aborder le sujet du colloque selon l’une des deux perspectives suivantes (à préciser dans la proposition) :

  • Perspective n°1 : Comment se fabriquent les recherches dont le terrain est le projet et quelle en est la valeur ajoutée en matière de production de connaissances / actualisation des savoirs ?
  • Perspective n°2 : Quelle place pour la recherche dont le terrain est le projet dans les parcours d’acteurs territoriaux, de praticiens, de chercheurs, d’enseignants-chercheurs ?

Les propositions de communication pourront émaner de chercheurs privilégiant le projet comme terrain de recherche, d’acteurs de terrain (collectivités, associations, élus, …), de concepteurs, d’enseignants-chercheurs utilisant le terrain du projet pour produire des connaissances en didactique du projet et/ou dans la discipline de projet enseignée, etc. Le comité invite les auteurs à proposer des communications associant des contributeurs de profils complémentaires (pluridisciplinaires / multi-professionnels), sans que ce soit une obligation.

Une dimension internationale et/ou comparative enrichira les échanges. Une attention particulière sera apportée à la spécificité de l’ancrage dans le terrain du projet mais également aux limites du projet comme terrain de la recherche contributive. Ces dernières peuvent par exemple tenir à des situations politiques, des chevauchements de compétences, à son modèle économique mais aussi aux dimensions éthiques et déontologiques de ce type de recherche.


1. Stiegler, Bernard (dir.), 2020. Bifurquer « Il n’y a pas d’alternative », Paris, Les Liens qui Libèrent, page 12 (extrait de la lettre de Hans Ulrich Obrist et Bernard Stiegler à Antonio Guterres).

2. https://internation.world/about/

3. Coste, Anne, 2023. « La recherche par le projet comme forme de recherche contributive : Expériences et tentative de théorisation », in BIEHLER A. (dir.), Recherche et projet - (pour) Repenser l’enseignement et les pratiques de conception des espaces de vie. Marseille, ENSAM, pp. 37-52.

4. Nous empruntons ces termes, en autres références, au colloque Habitable, vivable, désirable. Débats sur la condition territoriale, 4es rencontres scientifiques internationales de la Cité des territoires, Grenoble, 2015.

5. La notion de projet comme terrain de recherche a notamment été développée dans : Findeli, Alain et Coste, Anne, 2007. « De la recherche-création à la recherche-projet : un cadre théorique et méthodologique pour la recherche architecturale », Lieux Communs, n° 10, numéro consacré aux «Formes et pratiques de l’activité de recherche», octobre 2007, pp.139-162. 

6. Hugon, Marie-Anne et Seibel, Claude, 1988, Recherches impliquées. Recherche action : le cas de l’éducation. Bruxelles, De Boeck Wesmael : cités dans Sanchez, Eric et Monod-Ansaldi, Réjane, 2015, « Recherche collaborative orientée par la conception », Éducation et didactique [En ligne], 9-2 | , mis en ligne le 30 septembre 2017 : http://journals.openedition.org/educationdidactique/2288 ; DOI : http://sci-hub.tw/10.4000/educationdidactique.2288

   

  Télécharger l'appel   

AAC 

   

Coordination scientifique

Anne Coste (coordinatrice du comité Scientifique)
Responsable scientifique du programme AmbRe (Ambition réflexive) de l’unité de recherche AE&CC, ENSA Grenoble – Université Grenoble Alpes

Nicolas Vernet (coordinateur du comité de Pilotage)
Post-doctorant, programme AmbRe (Ambition réflexive) de l’unité de recherche AE&CC, ENSA Grenoble – Université Grenoble Alpes

Conseil scientifique

Aurélie Mosse
Co-directrice du groupe Soft Matters, Ensadlab, Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris

Bendicht Weber
ENSA Paris-la-Villette, coresponsable de la chaire EFF&T (Chaire partenariale d’enseignement et de recherche en architecture « Expérimenter, Faire, Fabriquer & Transmettre »)

Christel Marchiaro
Laboratoire Project[s], ENSA Marseille

Patrick Moquay
Directeur du Larep, Directeur délégué pour la recherche, École nationale supérieure de paysage de Versailles

Comité de Pilotage

Carine Bonnot
AE&CC, ENSAG-UGA

Frédéric Dellinger
AE&CC, ENSAG-UGA

David Gandreau
AE&CC, ENSAG-UGA

Philippe Garnier
AE&CC, ENSAG-UGA

Thierry Joffroy
AE&CC, ENSAG-UGA

Romain Lajarge
AE&CC, ENSAG-UGA

Frank Lebail
AE&CC, ENSA Saint-Etienne

Halimatou Mama-Awal
AE&CC, ENSAG-UGA

Martin Pointet
AE&CC, ENSAG-UGA

Pascal Rollet
AE&CC, ENSAG-UGA

Gabriella Trotta
AE&CC, ENSA Normandie

Keith Zawistowski
AE&CC, ENSAG-UGA

Personnes connectées : 2 Flux RSS | Vie privée
Chargement...